Pluméliau : terre de tisserands – A partir de 1507
Très jeune dans un champ de notre ferme, il m’est arrivé de trouver un fusaïole antique, témoin des tisserands lointains de notre commune. Plumeliau est au cœur de ce territoire où l’industrie de la toile aurait connu son essor dès le XVe Siècle. Les hommes devaient se vêtir, il fallait filer la laine, le chanvre, le lin. C’était une façon pour certains laboureurs d’ajouter un plus à leurs revenus alors que pour d’autres c’était leur activité à plein temps et une affaire de famille.
Pour filer et tisser il fallait la matière première … A Plumeliau, chaque hameau avait un courtil ou étaient semées les graines de lin, de chanvre. Puis il fallait travailler ces tiges végétales et procéder au rouissage et au défibrage. Le rouissage, c’est-à-dire la macération dans l’eau, pouvait se réaliser sur le trajet du cours d’eau, ou bien à ciel ouvert, près d’un moulin. Les fibres de chanvre ou de lin subissaient après le défibrage dans un moulin à marteaux ou broyeur. Plumeliau comptait au moins deux moulins qui broyaient les blés pendant l’année mais à certains moments changeaient d’activité pour traiter les fibres. Ces deux moulins se situaient l’un à l’extrême Ouest et l’autre à l’extrême Est …les moulins de Kergoual et de Kergouet.
NDLR :
-Texier ou tixier : tisserand en vieux français
– chanvre douge : La toile dongée, ou donge, ou douge, en fils délyés ou triés, est la plus fine
Le moulin texier de Kergoual
Le 29 avril 1507 : Jehan de Rimayzon fait aveu de ses biens au Vicomte Jehan de Rohan et entre autres mentionne les biens du domainier Guillaume Le Strat …
« …la moitié du Moulin de Kergonoual : Item la moitié d’un Moulin tixier, étang, retenu d’eau et le revenu et distroit d’iceluy nommé et vulgairement appelé le Moulin de Kergonoual situé et habittant de tous endroits à la dite tenue que tient le dit Guillaume Le Strat au dit village de Kergoual en la dite paroisse de Plumeliau afferme par commun avec 12 renots de seigle par chacun an »
Donc déjà il y a 500 ans le ou les moulin(s) de Kergoual broyait les fibres.
Le 20 juin 1581, Alain Guillo et Jeanne Le Fellic (fille feu Guillaume) de Rennes Le Bihan (Talvern) déclare avoir des terres touchant celles de Guillaume et Jean Le Strat …et plus loin d’un chemin allant à Moulin Le Strat … Le moulin était connu aussi sous ce nom.
Puis il y a l’inventaire de juillet 1588 d’Henriette de La Porte, veuve de Guillaume Le Strat, petit-fils de celui nommé plus haut. Ce qui est particulier dans cet inventaire est entre autres, le contenu de ses coffres à St Nicolas sur Blavet, une grande quantité de fil et des draps de toutes les couleurs. Si les draps et serviettes pouvaient être pour son usage personnel, l’inventaire reste important. Elle possédait des semences de lin :
– Soixante fees de lin prisees ensemble 20 livres et pour ce 20 L
– Deux perees de semence de lin prisees seize livres et pour ce 16 L
Beaucoup de fil …
– Du fil de lin blanc pesant onze livres seize soubz huict deniers la livre et font troys escus deux tiers descu (environ 9 L)
– Deux livres de fil de lin cru chachune livre quinze soubz pour ce sont 1 L 10 s
– Quatorze livres de fil de chanvre chacune livre dix soubz font en tout 7 L
– Quinze livres de fil d’estoupe le tout ensemble 6 livres 6 L
– Quatre livres de fil de reparon 25 sols et ce pour 1 L 5 s
– Douze livres de fil de reparon blanc ensemble trente soubz pour ce 1 L 10 s
– Cinq livres de fil de reparon devide en pelloton ensemble douze soubz huict deniers et pour ce 12 s 8 d
– Cinq livres de pouppe de chanvre quinze soubz et pour ce 15s
Plus dans le grenier :
– Quatre-vingt-quatorze livres de fil de reparon chacune livre prisée deux soubz font le tout ensemble dix livres et pour ce 10 L
– Sept livres de toille de reparon. Prises ensemble sept livres et pour ce 7 L
…et beaucoup de draps de toutes les couleurs et autres …
– Quatre linceuls de toile de reparon quatre livres et pour ce 4 L
– Cinq linceuls de toiles de chanvre douge ensemble cent soubz et pour 5 L
– Une touaille de chanvre cent soubz quatre deniers et pour ce 5 L 4 d
– Un grand linceul de toelle de chanvre douge trente soubz pour ce 1 L 10 s
– Cinq autres grands linceuls de meme toile de chanvre 7 livres dix sols et pour ce 7 L 10 s
– Deux douzaines de serviettes de toile de chanvre et chacune quatre soubz tournois et pour le tout 4 L 16 s
– Deux langeuls de drap blanc prisés ensemble soixante soubz 3 L
– Un cotillon de drap bleu cinquante soubz 2 L 10 s
– Un cotillon de drap noir le corsage de camelot rouge quatre livres 4 L
– Un droguet de drap noir huict livres cinq soubz 8 L 5 s
– Une cotte de drap viollet prisé dix livres 10 L
– Autre cotte de drap noir le corsage de camelot rouge quinze livres 15 L
– Deux peres de manches rouges ensemble sept livres 7 L
– Deux manches de revesche rouge prisées dix soubz 10 s
– Autres manches de drap pourpre vingt-cinq soubz 1 L 5 s.
– Une aulne et un quart de bureau blanc vingt-cinq soubz 1 L 5 s
– Une cotte de drap blanc cent dix soubz 5 L 10 s
– Deux faillyes manches noire et de pourpre dix soubz 10 s
– Trois touailles de touelle de chanvre vingt soubz et pour ce 4 L 15 s
– Deux douzaines de serviettes de toille de chanvre ensemble cent soubz et pour ce 5 L
– Quatre langeuls de draps de bureau ensemble six livres et pour ce 7 L 5 s
– Vingt-deux linceuls de toiles de reparon ensemble quarante soubz et pour ce 22 L
– Un failly linceul de reparon prise dix soubz et pour ce 10 s
– Plus un grand linceul de toille de chanvre douge trente-cinq soubz et pour ce 1 L 15 s
– Huit touaillons de toile de reparon vingt-cinq soubz et pour ce 5 L 1 s 8 d
– Neuf touaillons de toile de chanvre ensemble quarante soubz ce 3 L 17 s 8 d
… et des outils pour peigner le chanvre ?
– Une brosse a dentz de fer et de cuisvre cinquante soubz et pour ce 2 L 10 s
– Autre brosse a dentz de cuisvre vingt-cinq soubz et pour ce 1 L 5 s
– Autre brosse a dentz de fer douze soubz six deniers et pour ce 12 s 6 d
– Autre brosse aussy a dentz de fer quinz soubz et pour ce 15 s
Alors qu’à Kergoual elle a peu de preuves de son activité mais cependant une rare preuve de culture de chanvres :
– Chanvre en terre, masle femelle estime a six livres et pour ce 6 L
Il apparaît de cet inventaire, qu’Henriette et son mari étaient au centre d’un commerce de la toile pour la paroisse et les environs : ils achetaient des semences de lin, les vendaient aux laboureurs qui le cultivaient, préparaient le fil et le faisaient tisser par les mêmes paysans ou d’autres. Ce commerce classique en Bretagne, apparu à la fin du Moyen Age, était lucratif car cet inventaire est d’un montant total (1575 livres), près de 3 fois plus élevé que ceux déjà connus pour le XVIème siècle en Bretagne (il en existe moins d’une dizaine).
Qui tissait le lin ? La famille Le Mer …
Ce n’est pas facile de savoir qui était tisserand, c’est au bon vouloir des curés qui rédigent les registres. Ceux de St Nicolas mentionnaient les texiers et tisserands en toile. Ceux de Plumeliau seulement entre 1669 et 1707 … Quand il y a un procès les métiers sont indiqués …Nous ne sommes pas très gâtés a Plumeliau, mais il apparait alors clairement qu’une famille dominait cette activité. Vers 1650 il y avait à Kergoal ou à côté deux couples : Alain Le Mer et Guillemette Le Stradic et Alexandre Le Mer et Isabeau Morice. Je n’ai vu aucune indication de leurs métiers mais par contre à la génération suivante toujours à Kergoal ou à côté il y a deux texiers, Yves Rojan et Guillaume Le Mer et Jeanne Morel, Guillaume Le Mer et Jeanne Morel ont plusieurs enfants dont Louis, texier, époux de Françoise Le Peh dont la fille Charlotte épousera Maurice Le Rouzic, texier.
Guillaume Le Mer et Janne Morel ont deux fils texier, Jean qui épouse Marie Le Tohic, Alain qui épouse Françoise Le Tohic.
Enfin Guillaume et Jeanne Morel ont en plus François en 1699 (décédé le 23 févriers 1777) qui était sonneur de cloches et texier. Il épouse Alanette Le Reste et ils ont de nombreux enfants Marguerite qui épouse François Lorand, texier ; Louis Le Mer, texier qui épouse Thérèse Stephan (elle-même petite fille de Guillaume Stephan et Catherine Le Pipec, texier aussi).
Guillaume Le Mer et Jeanne Morel ont un fils Guillaume qui épouse Marie Stephan, sœur de Thérèse …tisserands de toile aussi.
Et à la génération après au moment de la révolution il y a encore des Le Mer texiers et sonneur de cloche !
Pour ce travail de tissage il fallait du matériel et la famille Le Mer à Kergoual ou à côté (Le Cloitre, St Nicolas) avait cet équipement. Ce serait unique de trouver un inventaire à la suite du décès de l’un d’eux pour connaitre l’équipement.
Autres villages autour de Kergoual
Il y avait sans doute aussi l’équipement nécessaire à Gamblen où sont d’abord Guillaume Le Sant, texier et Françoise Cabelguen vers 1650-1670 et à la même époque Barnabé Stephan et Jeanne Bertho. Leur fils Guillaume époux de Catherine Le Pipec était texier tout comme son fils Toussaint Stephan époux de Alanette Jouannic dont les filles Thérèse et Marie ont épousé des tisserands. Le village de Gamblen devait se ravitailler à Kergoual.
Il en allait de même juste à côté au Coingarh où étaient les enfants de Jean Pierres dit Kerguen et Jeanne Le Corronc, deux fils étaient teixier en toiles dès 1650 : Yves et Guillaume et leurs soeur Perrine était aussi épouse d’un teixier en toile au bourg : Mathurin Vetel .
Il est possible que tous les villageois proches de Kergoual avaient une vacation de tisserand et /ou de laboureur autour du moulin texier .
Et Kergouet ?
Vers 1680, à Kergouet il y avait deux frères texiers : Jean Le Creuff époux de Jeanne Quilleré et Jean Le Creuff époux de Marie Dagorne (de Kerdelavant). Comme à Kergouet il y avait un moulin celui-ci devait aussi avoir double fonction. Après les Le Creuff, Jean Le Gal et Guillemette Jossic prennent la relève au tissage vers 1700.
Il y avait d’autres couples texier sur Pluméliau, parfois des noms nouveaux qui venaient sans doute de famille de tisserands extérieurs.
Au travers de nombreux documents il est donc possible de voir que Plumeliau était très impliqué dans le tissage du chanvre et du lin et il est probable que les Le Strat de Kergoual étant marchand allaient vendre ces toiles aux marchés.